par Brigitte Haentjens
Le théâtre qui m’intéresse est celui qui, par l’acuité et l’intelligence du regard porté sur le monde, déstabilise et provoque, j’aime les démarches arides, poétiques, abstraites ou sensorielles. Le texte n’existe pas dans l’absolu. Il prend vie sous le regard de celui qui le lit, le reçoit, s’y plonge et l’assimile avec sa sensibilité, son histoire, sa culture. Plus précisément, ma pratique théâtrale s’ancre dans un certain espace dramaturgique, celui d’auteur(e)s qu’on pourrait qualifier de poétiques et radicaux.
Le terme « radical » ne renvoie pas tellement à une notion « révolutionnaire » ou même à « contestataire », je l’entends surtout dans l’acception qu’en donne Angela Davis: « To be radical, simply means grasping things by the roots ». Être radical ne signifie rien d’autre que de tenter de saisir, empoigner, agripper même, les choses par (et non simplement « à ») leur racine. Cela implique toujours de se salir en plongeant ses mains dans la terre et essayer d’en extirper une chose, une idée ou une image dans toute sa verticale profondeur.
Poésie et radicalité tissent le fil rouge qu’on distingue sans doute au cœur de la grande variété de dramaturges et écrivains que j’ai adaptés, traduits et mis en scène les textes au sein de la compagnie. Et c’est ce même esprit poétique, loin du quotidien, que je cherche à préserver et à mettre de l’avant sur la scène. De manière plus précise encore, les choix dramaturgiques de Sibyllines voyagent librement (et parfois même simultanément) sur deux continents.
Le premier continent est celui de l’intimité, de la corporalité et de la sexualité, explorés à travers MALINA, MÉDÉE-MATÉRIAU, MOLLY BLOOM, UNE FEMME À BERLIN et tant d’autres. J’ignore si je fais partie des artistes ayant monté le plus d’écrivaines au Québec (Plath, Kane, Bachmann, Duras, Dupré, Hillers, Woolf, Calle, etc.). Mais, si tel est le cas, je n’en serais que plus fière tant j’accepte avec plaisir cette étiquette qu’on accorde souvent à Sibyllines : une compagnie qui met d’abord de l’avant la création féminine et féministe.
Le second continent est celui du « pouvoir » : Comment se déploie-t-il, s’incarne-t-il, se maintient-il et s’immisce-t-il dans nos comportements, bouleversant nos rapports, nos relations? Sur ce continent domine la violence sous toutes ses formes, qu’elle soit contenue (LA CLOCHE DE VERRE) ou déchaînée (LE 20 NOVEMBRE), liée au désir de l’autre (DANS LA SOLITUDE DES CHAMPS DE COTON, BLASTÉ) ou à la haine de soi (RICHARD III), intime (TA DOULEUR) ou sociale (L’OPÉRA DE QUAT’SOUS, WOYZECK). Ainsi, à Sibyllines, nous voulons sonder les forces et mécanismes qui s’animent sous la surface des choses et qui peuvent mener à des accès de fureur ou des tentatives d’asservissement.